Karl-Markus Gauß Ordre des livres

Après Voyages au bout de l'Europe (L'Esprit des péninsules, 2003), Karl-Markus Gauss poursuit l'exploration des confins du Vieux Continent. Lors d'un voyage en Slovaquie, l'essayiste et reporter autrichien est allé à la rencontre d'hommes et de femmes captifs d'une doublure de notre espace-temps : des Tziganes appelés Degesi, autrement dit les " mangeurs de chien ", qui forment une caste d'Intouchables. Sur les Zoo réprouvés de Svinia, ou sur leurs frères moins défavorisés (si l'on ose dire) des bidonvilles de Kosice, Gauss jette un regard fraternel, un regard qui porte loin - au-delà des apparences, derrière les façades ravalées de la mondialisation, où survivent des populations privées de tout, et même de leur mémoire. A ce bref récit, il ne manque rien pour faire le tour d'un vaste sujet même pas quelques lueurs d'espoir.

Où se trouvent donc les Sorabes ? Les Aroumains ont-ils quelque lien avec la Roumanie ? Comment vivent les juifs séfarades qui ont choisi de rester dans Sarajevo déchiré ? Savez-vous où se situe la Gottschee ? Et quelle langue parlent les Arberèches de Calabre ? Entre 1999 et 2000, Karl-Markus Gauss est parti à la rencontre de cinq populations au destin singulier, ni États, ni minorités - le sel de la vieille Europe. À l'issue d'une année d'enquêtes et d'entretiens, et au moment où l'Union européenne accomplit son élargissement vers l'est, l'auteur nous livre ses carnets de route, ses observations d'écrivain ethnographe et dessine la carte documentée, précise et profondément humaine d'une Europe des marges.

En refusant de rejoindre aussi bien les adorateurs de l'Autriche idyllique (à droite) que les dénigreurs de l'Autriche fasciste (à gauche), lesquels ont en commun d'oublier l'histoire pour ne retenir que les composantes allemandes du pays, Karl-Markus Gauss explore l'identité autrichienne. Connaître, pour Gauss, c'est ici avant tout plonger dans l'histoire et réconcilier l'Autriche d'aujourd'hui, amnésique, opportuniste, artificiellement tournée vers l'Ouest, avec sa " vocation Mitteleuropa " - soit douze excursions dans des terres apparemment annexes de l'histoire culturelle de son pays pour montrer que l'Autriche da vécu et ne peut continuer de vivre que de ses marches ou périphéries, au sens géographique ou intellectuel. L'auteur brosse avec un évident plaisir rhétorique et polémique les portraits de quelques figures de la sédition intellectuelle autrichienne dont l'écrivain Michael Guttenbrunner, antinazi de la première heure - sans oublier deux morceaux de bravoure respectivement consacrés à l'érotomanie de Heimito von Doderer et aux défauts de prononciation de certain dirigeant nationaliste.